Cassiopeia & Gregory ▬ When she embraces your heart turns to stone She comes at night when you are all alone And when she whispers your blood shall run cold You better hide before she finds you
La Discrète portait bien mal son nom depuis que la Marquise de Merteuil y avait emménagé. Et, surtout, depuis qu'elle y logeait le vampire de compagnie qu'elle avait acquis un beau jour de marché. En effet, les résidents réguliers voyaient s'y succéder humains, démons, et désormais vampires.
Les deux vampires qui se présentèrent à la porte du domicile de la Marquise, cette nuit-là, n'eurent pas besoin de déployer d'efforts pour convaincre Eden, la gouvernante, de leur donner la permission d'entrée - règle très rigoureusement respectée chez les enfants des Ombres, bien qu'on ne sût jamais s'il s'agissait là d'une loi due à la rigueur ancestrale de Cassiopeia, ou bien d'une incapacité naturelle à pénétrer dans une propriété privée sans invitation.
Le premier, brun, était impassible. Ses yeux sombres accordèrent à peine un regard aux divers domestiques qu'ils croisèrent. Le second, blond, lorgnait avec gourmandise les silhouettes des jeunes femmes. La maîtresse des lieux était absente, apprirent-ils de la part d'Eden. Partie s'occuper d'une forme de transaction qui échappait totalement à la bonne femme qu'elle était.
Sans rechigner, visiblement ravie d'apporter son aide à ceux qu'elle pensait être des amis de Madame, elle les conduisit jusqu'à la chambre de celui qui les intéressait. Elle ouvrit elle-même la porte et les laissa passer avant de la refermer, en profitant pour s'éclipser dans ses cuisines.
Le vampire apathique prit la parole sans permettre de temps de surprise, le regard tourné vers le plafond :
- Gregory Hunston. Traître à son espèce, captif de la Vassale de Bretagne et damné du Seigneur Azazel.
Le second homme eut un ricanement goguenard, visiblement satisfait par ces épithètes attribués à l'ancien forçat. Le premier adressa un coup d'oeil réprobateur à son voisin puis se redressa, daignant cette fois-ci poser le regard sur celui qu'ils importunaient.
- Notre Reine désire s'entretenir avec vous, annonça-t-il avec une neutralité frôlant l'ennui. Veuillez nous suivre.
Un ordre bien plus qu'une invitation. Sans plus attendre de réaction, le second vampire saisit le bras du Nocturne dénué de crocs et l'entraîna hors de la pièce sans brusquerie, mais avec fermeté. Si Gregory se débattait, il se contenterait de raffermir sa prise et d'employer sa force ainsi que sa vitesse vampirique pour obliger le convié à accélérer.
Bloodsucking demon, queen of hell...clickGregory & Cassiopeia Le temps d'un enfer« How we meet again»« Ton existence sera plus douce lorsque tu laisseras la Bête qui est en toi se nourrir. Imagine comme ta Dame serait satisfaite de savoir que tu fais enfin honneur à ton espèce. Le Soleil t'a rejeté, fils des Ombres. Accepte-le. Et bois. »
Allongé sur son lit, sa tête reposant comme souvent sur son bras, il songeait aux paroles d’Azazel. Peut-être que la clef de sa vengeance était là : devenir un prédateur, la Bête tant attendue qu’on penserait soumettre avant qu’elle ne se révolte. Peut-être que ce statut d’être sanguinaire le rapprocherait suffisamment de la Dame des vampires et ainsi lui donnerait l’occasion de se venger en beauté. Après tout, c’était là sa condamnation : boire à n’en plus pouvoir. Finirait-elle par baisser sa garde s’il devenait son plus fidèle et fervent serviteur ? Il en doutait. Pourtant, le conseil du Seigneur des démons résonnait dans son esprit comme une promesse de liberté. En outre, qu’avait-il à perdre ? Son humanité ? Il en était déjà dépossédé depuis longtemps.
La soudaine intrusion le fit se redresser sur ses coudes. Ses traits étaient bougons, comme à leur habitude. Qu’est-ce qu’on lui voulait encore ? En si peu de temps, il n’avait jamais autant reçu de visiteurs. Un véritable défilé … Même la Marquise se refusait à être en permanence sur son dos, ce qui convenait tout à fait au vampire. Le libellé solennellement déclamé lui arracha un rictus ironique.
- Lui-même, répondit-il en se redressant complètement.
La révélation lui fit perdre tout sourire. Une pierre venait de tomber dans son estomac. Cassiopeia.
- S’entretenir ? Vraiment ?
Il s’attendait davantage à une exécution publique, une correction de renom, un savon dont il se souviendrait ou peut-être tout simplement souhaitait-elle lui dérober la seule chose qu’il gardait encore en lui : son cœur. Quelle punition cela ferait encore ! Gregory n’eut cependant pas de réponse ni même le temps de décliner. On ne lui laissa aucun choix. D’ailleurs, tous se contrefichaient de ses choix, de ses décisions. Une habitude qu’il avait fini par prendre et dans un sens, ça lui allait. Escorté sans même avoir le loisir de se rendre présentable ou de faire une quelconque toilette, il eut tout juste le temps de souffler à Eden de n’en rien dire à Joséphine.
- Vous êtes conscient que je peux encore marcher seul ? grogna-t-il en se voyant conduit sur le pas de la porte.
La lune l’éclaira alors avec brutalité. Sa lumière lui fit plisser les yeux tant ni lui ni elle ne se rencontrait jamais. Le conduisait-on dans une autre cellule ? Ou vers quel autre enfer ? Cette mise en scène ne le mettait pas à l’aise. L’ancien forçat se méfiait et … à juste titre.
- C’est encore loin ? finit-il par s’impatienter après quelques minutes de marche.
Cassiopeia & Gregory ▬ When she embraces your heart turns to stone She comes at night when you are all alone And when she whispers your blood shall run cold You better hide before she finds you
- Doucement, André. Nous ne voulons pas qu'il nous échappe avant de l'avoir conduit à la Reine. - Tu sais quoi Emile, on aurait dû lui couper la langue, grommela le vampire qui tenait toujours le bras de l'ancien forçat. Mais Dame Cassiopeia s'en chargera sûrement.
Cette possibilité semblait le réjouir. Il posa sur Gregory un regard au sadisme indéniable avant de s'arrêter face à un bâtiment de pierre. La façade laissait peu d'indices quant à la nature de l'endroit. Seules les lumières tamisées qui parvenaient depuis les fenêtres laissaient deviner une volonté de discrétion et de calme.
L’odeur du sang était subtile, mais néanmoins présente. Mêlé aux effluves d’opium, qu’elles soient alcoolisées ou mêlées de tabac, ce parfum devenait des plus entêtants. Et c’était exactement l’effet recherché. D’un œil extérieur, le lieu ressemblait en tout point à toute fumerie d’opium clandestine de la ville. Un simple visiteur égaré n’y aurait vu que du feu. Pourtant, lorsque le regard s’attardait sur les personnes présentes, il aurait été tout naturel de s'interroger.
Là, un homme était avachi dans un fauteuil, une femme à califourchon sur lui. Lui, une pipe à la main, semblait proche de l’endormissement. Il avait le visage rejeté en arrière et un air de béatitude. Elle, en revanche, avait les lèvres fermement posées sur une parcelle de peau nue du torse de l’homme. En fixant cette vision érotique, l'on apercevait quelques gouttes d’un liquide pourpre perler sur la peau pâlissante de ce client. Quelques mètres plus loin, deux hommes s’embrassaient, loin des regards critiques, protégés par les vapeurs d’opium et par l’état de relaxation intense que provoquait cette drogue dont ils raffolaient tous. Ce baiser, pourtant, n’était pas si innocent. Sur le menton de l’un d’eux, une fine ligne de sang commençait à se dessiner.
Profiter des bassesses des humains avait été d’une facilité affligeante. Drogue, sexe, illicite, plaisirs en tous genres… Tout cela était proposé en ce lieu maudit. Pour les humains, un échappatoire à leur quotidien morne et dénué d’excitation. Pour les vampires… Un restaurant. L’opium avait la particularité de plonger ses victimes dans un état de relaxation intense, de leur procurer une sensation d’extase orgasmique en plus d’une insensibilité totale à la douleur. Une couverture parfaite pour les créatures de la nuit, qui pouvaient alors se permettre de mordre à loisir la proie qu’ils s’étaient choisi sans que celle-ci n’ait à se plaindre… Bien au contraire. Il n’était pas rare qu’en plus d’une morsure, les humains qui visitaient ce lieu s'éveillent le lendemain avec de vagues réminiscences d’une nuit de plaisir incomparable, de gémissements étouffés et de frissons délicieux.
André lâcha le bras de Gregory et rejoignit les deux hommes perdus dans leur baiser. Emile, lui, se tourna vers leur invité et indiqua d'un signe du doigt l'étage supérieur.
- Elle vous attend. Montez les escaliers, et rejoignez la pièce qui se trouvera à votre droite. Bonne soirée, très cher.
Sur ces mots, il disparut.
Le visage impassible, la Dame sentait déjà poindre un ennui des plus terribles. Pourtant, alors qu'elle contemplait l'idée de regagner Londres et son domicile, le jeune vampire qu'elle avait convoqué fit son apparition dans le bâtiment. Elle sentait sa présence. Un mince sourire étira ses lèvres glacées, l’extirpant de son immobilisme. Elle attendait.
Bloodsucking demon, queen of hell...clickGregory & Cassiopeia Le temps d'un enfer« How we meet again»La haine de ses semblables était charmante mais si ordinaire. Pour peu, il aurait bien cherché à donner une bonne leçon à ce cher André. Peut-être donnerait-il son nom au Prince des démons, un soir de nouveau ring, en attendant la divine permission.
Une fois arrivés, l’odeur ne trompa pas le vampire renégat qu’il était. Gregory dissimula un soupir de lassitude tandis qu’il distribuait un regard égal aux différentes scènes offertes à leurs yeux. Inconsciemment, il pria pour ne jamais y retrouver Joséphine bien que son traitement fût déjà similaire. Ces humains n’étaient rien d’autres que des victimes, heureuses en apparence, certes, mais ces morceaux de viande fraîches n’avaient nulle connaissance de leur réel malheur. Ses pensées se tournèrent vers Elena. Il pria à nouveau. Un instant, il crut les voir, elle et son sourire cajoleur. Un pincement mêlé à de la haine s’insinua d’abord dans son esprit avant de venir se lover dans le vide laissé par ses crocs. Il était temps d’en finir.
Relâché, Gregory ne chercha pas à bouger ni même à effectuer un mouvement de recul. Il était stoïque comme à chaque fois qu’il endossait l’impassibilité. Tous ces spectacles lui donnaient soif autant qu’ils le rendaient nauséeux. Aux indications d’Emile, il hocha brièvement la tête et, une poignée de secondes plus tard, il obtempéra, partagé entre l’appréhension et l’indifférence.
Il ne toqua pas et resta silencieux sur le seuil, les bras le long du corps. L’espace d’une folle seconde, il pensa la tutoyer, par simple provocation. Après tout, n’y avait-il pas une forme d’intimité entre eux depuis le châtiment qu’elle avait ordonné ? Heureusement, son instinct de survie était d’une raisonnabilité sans faille. Gregory était bien des choses, un idiot même, mais il n’était pas suicidaire. Enfin … sur le papier peut-être, car sa colère ne pouvait s’empêcher de lui susurrer toutes les insolences du monde. La tentation était forte et son instinct n’en était que plus alerte, lui aussi. Ce fut donc le compromis qui fut choisi. Sans attendre d’ordre, l’ancien forçat fit un pas dans la pièce et referma la porte derrière lui. Ce n’était pas là une volonté d’éviter tout témoin : il se doutait bien que la Dame n’était jamais seule. Non, Gregory avait accepté son sort et il était prêt à accepter le suivant aussi.
- J’ai une préférence pour le chêne, déclara-t-il dans un rictus. Mais je suppose que tout bois est bon à brûler.
Nous conviendrons que le « sans faille » était peut-être de trop finalement.
- Je ne vous attendais plus, continua-t-il en allant s’appuyer contre le mur le plus proche. Pas de visite en cellule, pas de visite non plus lors de ma vente ou chez votre amante. Il ne faudrait pas que l’histoire de votre supplicié ne devienne qu’un mythe pour vos nouveaux-nés.
C’était précisément dans ces moments-là qu’il aurait aimé entendre les voix d’Emilie et de Joséphine l’intimer au silence et à la prudence. Or, il comprenait enfin : cette entrevue, il l’attendait depuis trop longtemps déjà et c’était là tout son malheur.
Cassiopeia & Gregory ▬ When she embraces your heart turns to stone She comes at night when you are all alone And when she whispers your blood shall run cold You better hide before she finds you
Dans sa grande mansuétude, Cassiopeia passa outre le manque de respect évident du jeune vampire. Elle pardonna même l'absence de révérence ou de ploiement de genou. Il avait été esclave longtemps, humain avant cela, et elle ne pouvait donc le blâmer parce qu'il ne connaissait pas les coutumes de son vénérable peuple. Il avait déjà été châtié pour la grande faute qu'il avait commise en s'entichant d'une humaine au point de désobéir ouvertement à la Dame.
Mais pour un être aussi prompt à la résistance qu'il semblait l'être, il était soudainement bien enthousiaste à mentionner le sort qu'elle lui avait réservé. Les commentaires de Gregory attirèrent donc l'attention de la vampire, dont les yeux trop clairs se plissèrent.
- Désirais-tu donc tant ma visite ?
Elle était étendue sur un divan, jambes croisées au niveau de la cheville. Elle ne souriait pas, mais les commissures de ses lèvres trahissaient subtilement un certain amusement. C'était une émotion qui, chez Cassiopeia, était continuellement accompagnée de cruauté.
Après un temps de silence, elle quitta le divan. Féline, elle s'approcha d'un pas souple de son invité et du mur sur lequel il pensait se réfugier.
- Mes visites sont un privilège, jeune homme. Un privilège que tu n'as pas encore gagné. Quant à ton supplice...
Elle passa le bout de l'index sur la mâchoire du vampire. Elle en traça le contour avec lenteur, avec l'application d'une mère face à un enfant trop brouillon.
- Penses-tu réellement être le seul ? Ne sois pas naïf. Tu es un exemple remarquable du sort que je réserve aux dissidents, mais tu n'es ni indispensable, ni mémorable.
La pointe de ses crocs était révélée lorsqu'elle prenait la parole, comme un rappel constant de la dangerosité de la créature qu'elle était. Et pourtant, c'était avec une douceur telle qu'elle en devenait moqueuse et offensante qu'elle s'adressait à lui.
Elle recula d'un pas, et baissa la main pour mieux le toiser.
- Cependant... Tu n'es pas totalement inutile. Et c'est bien pour cette raison que tu es là ce soir.
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