Dame Rán - Libérez le Kraken

HISTOIRE ▬
Rán naquit de l'union malheureuse d'un chef de clan et d'une sorcière. Les sorcières, même vikings, ne deviennent pas des épouses. Tout au mieux restent elles amantes assez longtemps pour se reposer l'âme quelques années. Aussi, on accoucha sa mère à l'écart du clan, dans une masure délabrée qui avait dû être, dans d'autres temps, une remise à poissons tant l'odeur était détestable.
La völva qui la mit au monde la rinça dans l'eau glacée de la mer. Le sang de sa mère se mêla à l'écume. Cela scella son destin à celui de la mer du Nord. Effectivement, on dit à voix basse que lorsqu’elle se coupe, ce n’est pas du sang, qui s’écoule de sa peau ; mais de l’eau de mer.
La sorcière grandit au sein du clan de la Grande Orque. Le Jarl, son père, la chérit comme une enfant légitime, ignorant cependant soigneusement sa mère. Dès ses premières années, elle développa des dons étonnants qu’elle approfondit en cachette. Elle était capable de manier l’eau et de tenir des conversations enflammées avec les poissons. Elle aurait simplement pris la place de sa mère au sein du clan si la fin d’une ère n’avait pas apporté avec elle des désirs de conquête. Si son père était un chef casanier et relativement pacifiste, son demi-frère Gudrun, était soumis à l’élan conquérant de sa génération. Très tôt, il témoigna d’une intense obsession pour les terres anglaises. Il monta une expédition et offrit alors un tournant spectaculaire au destin de Rán.
Les sorcières ne sont jamais des épouses ; Rán se refusa cependant à devenir l’amante d’un guerrier. Elle leur préférait cent fois leurs femmes. Une, en particulier, se lia à son cœur. Il s’agissait de Bertil, fille d’Eirik et porteuse de bouclier. Les deux femmes se plurent, se charmèrent et entreprirent une relation qu’elles dissimulèrent aux yeux des autres. Vint le temps des conquêtes. Étant donné son rapport favorable à l’eau, Gundur embarqua sa demi-soeur dans l’expédition.
La suite fut d’une banalité triste à pleurer. En amour, la plus grande infamie n’est pas tant la trahison de l’être aimé que l’aspect commun et habituel de ces tromperies. Dans l’adultère, l’exception passionnelle est rabaissée aux histoires communes et vulgaires. Rán vécut très mal l’union éclatante de Bertil et Gundur. Emportée par la rage, elle provoqua une tempête qui submergea le navire et noya tous ses occupants. Seulement, face à l’agonie de celle qu’elle avait aimée, elle ne put se résoudre à la laisser mourir et la métamorphosa. Sous la forme d’une pieuvre géante, Bertil reste depuis ce jour prisonnière des flots où elle avait trahi Rán. La sorcière détenant son âme, elle lui obéit et coule les navires qu’elle lui indique. Les noyés qu’elle amasse ainsi nourrissent, par  leur sang, un étrange maléfice de jeunesse éternelle que la sorcière s’est infligée à elle-même.
Animée par une vengeance tenace, elle se réfugia en Angleterre où elle aida les populations à lutter contre les vagues d’invasions. D’abord d’un naturel ouverte compréhensif envers les humains, elle finit par devenir plus froide et dure, considérant les masses humaines toutes aussi oppressantes que l’avaient été ses frères vikings. Lorsque la Terreur éclata en France, elle prit part à son exportation sur le sol anglais et fut une alliée non négligeable du couple démoniaque pour l’unification des deux affluents de l’Achéron. C’est pour cette même raison qu’ils la nommèrent Dame des Sorcières.