afterlife

HISTOIRE ▬ Si la vie est dure, les chants de sa cadette ont toujours été des nuages, des rêves, des pauses cotonneuses entre deux courses. Les heures laiteuses défilent à toute vitesse dans leur humble bicoque quand sa voix s’élève, et Aloïs irait jusqu’à se damner pour Christine. Dès l’enfance livrés à la cruauté de la vie et à la misère de leur veuf de père, les humains mènent une vie rustique, embrassant la débrouille et valsant avec la factice liberté de la solitude. Aloïs se fait coursier, messager, livreur de journaux — tout est bon pour assurer l’illusion du confort. Entre deux jours d’école il lui colporte des histoires de vampires et de démons, farfelus bruits de quartier.

Dix douze et quinze ans défilent entre chants danses et pirouettes, le minable cocon parisien offre chaque jour l’aventure de préparer le suivant. Le jeune homme connaît la capitale comme sa poche et son jeu préféré est de fourrer silencieusement son museau là où on le lui interdit.

Et un beau soir d’été - doux quatorze juillet ! - c’est la panique, ils sont emportés par une drôle de tempête, les récits prennent vie et les cauchemars sortent de la nuit : c’est la révolution sanglante d’un peuple autrefois dissimulé. La violence éclate et l’innocent quotidien devient guerre. Les mois défilent, les humains et les humeurs pourrissent dans des abris de fortune et des privilèges fracturés : l’adolescent n’est pas dupe.

Alors qu’on lui rapporte la nouvelle atroce de la subite fin du paternel, il se dévoile au démon contre la promesse de subsister. Informateur à point nommé, il cache suffisamment son jeu pour qu’on le croie maudit : les factions réfractaires qu’il fréquente tombent comme des mouches et à l’aube de ses vingt ans, Aloïs s’est acheté une place de choix dans la nouvelle société. Qu’importe son prix, il obtient la survie, il obtient le confort qu’ils n’ont jamais savouré. Il emmène Christine loin des bas fonds, lui tisse une chrysalide dans un beau quartier. Elle chante, et cela leur suffit.

Jamais il n’a directement fait couler le sang, mais quelle différence ? Pour peu qu’on lui promette ce qu’il désire, oh ! il en serait capable. Par chance il n’a nul talent à vendre et son âme est intègre, seuls comptent ses loyaux services d’espionnage aux yeux de son maître. Ainsi soit-il, si la meilleure place qu’il peut avoir est celle de chien du diable, alors il lui baisera les pieds. Le jour où autrui aura mieux à offrir, alors il partira. La trahison, semble-t-il, est sa plus grande réussite.