Je maudis les obsédés du propre sur soi Dans leur cervelas, leur quant à soi (quoi?) Quant à moi Je vomis les plats, vomis les fats, les clichés sans droits D'hémoglobine, des magazines, des viols de rétine Et j'aime Histoires de, histoire de Histoires de fesses.
L’aube commençait tout juste à éclaircir le ciel de cette nuit où la lune ne formait qu’un arc de cercle. Sa lumière était suffisante pour faire naître les ombres les plus horrifiantes, mais elle n’était pas assez forte pour être rassurante. Au loin, les hurlements des humains qui résistaient encore étaient devenus un bruit de fond régulier. Le plus inquiétant était finalement lorsque le silence tombait sur la capitale : les hurlements étaient synonymes de souffrance, mais le silence, lui, signifiait la mort. Désormais, rien ne rassurait tant Joséphine que le souffle court de ses amants d’une nuit. C’était en plein ébat qu’elle courait le moins de risque.
Sa poitrine se soulevait à un rythme régulier. Quelques minutes plus tôt, ce rythme était plus rapide. Plus chaotique, également. Alors qu’elle se rhabillait pour dissimuler à ce monde devenu trop sombre sa nudité, son regard s’attarda en direction de la fenêtre. Au loin, l’on devinait les silhouettes pendantes des exécutés. Quelques années plus tôt, ce spectacle l’aurait horrifiée. Lui aurait certainement arraché un frisson. A présent, elle ne s’en émouvait que lorsque la menace du même sort planait sur elle.
Joséphine eut un soupir, discret. Elle n’avait pas pris la peine de relever ses cheveux, pas encore. Il lui restait encore quelques instants à passer en compagnie de son partenaire de la nuit. Le démon auquel elle appartenait se plaisait, quelques fois, à la céder à quiconque payait le prix fort. Bien souvent, il s’agissait d’autres nocturnes. Quelques rares fois, il s’agissait d’humains qui avaient suffisamment collaboré pour être épargnés quelques instants de plus, et qui souffraient trop du manque de compagnie. Du manque de leurs semblables, qu’ils ne croisaient plus que dans la peur ou la contrainte. C’était le cas d’Aloïs. Elle ignorait l’ampleur des actes qu’il avait dû commettre pour bénéficier de la protection d’un démon, mais si elle devait être bien franche, cela n’annonçait, sur le long terme, rien de bon pour lui. Elle eut envers lui un sourire, pourtant. Cela faisait quelques fois qu’ils partageaient les mêmes draps. Envers elle, il n’était pas monstrueux. Puis, l’ombre d’une émotion humaine dans la voix, elle annonça :
- C’est la dernière fois que nous nous voyons en ces termes.
Il y a des nuits grises et silencieuses, où les souvenirs s’enroulent dans votre thorax et grimpent jusqu’en haut de votre gorge pour étouffer ce qu’il vous reste d’humanité. Des nuits immenses où la solitude broie votre esprit et disperse votre sommeil comme des cendres dans le vent. Des nuits implacables où l’anxiété vous ronge les os, les chairs, les pensées. Il y en a beaucoup, des nuits comme ça, en ce moment. Il y en avait déjà avant. Il y en aura souvent.
Et puis il y a des nuits voluptueuses où la compagnie humaine se pare de l’or du luxe et de l’interdit. Des nuits dont la chaleur est décuplée du fait de sa rareté, de l’effroyable statut de privilège qu’elle a obtenu. Il est moins triste que réaliste de dire que je suis chanceux de pouvoir en profiter dans une moindre illégalité que mes comparses.
Joséphine est une étincelle. Plus encore qu’un délectable plaisir charnel, c’est la vivacité de son esprit que j’apprécie, cette impression latente qu’aucune Terreur ne lorgne au travers des fenêtres quand je suis avec elle. Les quelques nuits en sa compagnie ont le goût de l’humanité que j’ai sacrifiée pour préserver ce qui reste du passé. Ça ressemble à du chocolat chaud, épicé à souhait.
L’aube repeint timidement le ciel de rouge tandis que Joséphine se rhabille et signe la fin de la partie. J’ignore encore de quoi sera faite la journée, mais j’en suis fatigué. Il n’y a rien qui ne puisse suivre ce genre de moment sans pâlir de la comparaison. À part entendre Christine chanter. La réalité balaie mes étourdissements nocturnes comme ma main quelques mèches rebelles. Moi aussi, j’attrape les étoffes qui sont miennes.
Oh ? La nouvelle ne me laisse guère indifférent. L’habitude qui commençait à s’installer semblait avoir pris ses aises, mais ils ne fait pas bon vivre pour les habitudes dans notre société. Tu ne veux plus de moi ?, souris-je, espiègle. Si l’annonce est surprenante, ses derniers mots ne laissent pourtant pas place à la déception. Que se passe-t-il ? Mais surtout : quels sont les nouveaux termes ?
Nonchalant, j’enfile ma chemise en attendant la suite. Dehors, les cris de quelques suppliciés s’évaporent dans la lumière naissante du jour. Tu aurais dû me le dire avant de commencer. Ainsi aurais-je pu profiter comme il se doit de ce dernier chocolat chaud. C’est là, je crois, notre seule liberté restante : croquer l’interdit à pleines dents.codage (c) fatigay
Je maudis les obsédés du propre sur soi Dans leur cervelas, leur quant à soi (quoi?) Quant à moi Je vomis les plats, vomis les fats, les clichés sans droits D'hémoglobine, des magazines, des viols de rétine Et j'aime Histoires de, histoire de Histoires de fesses.
- Non. Si je te l’avais dit plus tôt, tu aurais été trop triste.
Elle s’était exprimée avec une forme d’impertinence vaniteuse, qui adoucissait pourtant l’apparence de son maigre sourire. Il était si simple de répondre à ce reproche plutôt que de s’attarder à lui délivrer une réponse qui le satisferait. Le plus souvent, la nonchalance de son amant blond lui plaisait. Elle ne le trouvait pas intimidant, et c’était cela qui lui plaisait le plus à propos d’Aloïs.
- Les nuits passées avec toi m’étaient douces, consentit-elle néanmoins à offrir en tentative de réconfort. J’imagine même que tu manqueras, parfois. Mais là où je vais, ils n’accepteront hélas pas les humains.
Elle baissa les yeux alors, une expression fugace de tristesse assombrissant son beau visage. La distance entre eux lui était soudainement insoutenable. A plusieurs mètres de lui, elle se sentait bien plus exposée, bien plus vulnérable que lorsque leurs corps se rencontraient. Elle franchit alors cette distance, pour poser une main sur sa joue et l’obliger délicatement à baisser le regard sur elle. Le souvenir de ces traits impassibles crispés par la jouissance quelques instants plus tôt lui fit esquisser un nouveau sourire. Ils étaient similaires, sur ce point : tous deux obstinés dans leur volonté de ne pas révéler leur vulnérabilité au monde extérieur.
Comme pour se distraire de la tournure que prenaient ses pensées, Joséphine se hissa sur la pointe des pieds et embrassa ces lèvres déjà adorées toute la nuit.
- Je vais être vendue au Palais des Plaisirs. Monsieur n’a pas encore souhaité me l’annoncer, mais je le sais. J’ai lu son courrier. Je compte sur ta discrétion, souffla-t-elle tout contre sa bouche.
Dans un soupir, elle reprit sa hauteur habituelle et s’écarta finalement pour mieux s’approcher de la fenêtre et observer l’extérieur.
- J’espère sincèrement que nous nous reverrons. Je dois admettre que je m’inquiète quelque peu de ce que tu deviendras sans moi pour apaiser tes nuits et rehausser le niveau de tes fréquentations, plaisanta-t-elle avec son insolence douce habituelle.
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