Léonie Ragnadóttir

HISTOIRE ▬ Assise sur sa couche crissant sous le poids de son derrière bien en chair, Léonie lorgna le petit groupe de dindes écervelées s’en prendre une fois de plus à une petite miséreuse comme l’on en comptait bigrement à Will-O-The-Wisp. Visiblement, le manque de véhémence de Léonie les avaient laissé sur leur faim aujourd’hui. Une belle bande de voraces persécutrices, de quoi amuser la gamine les observant du coin de l’œil tandis que la nouvelle suppliciée se recroquevillait petit à petit sur elle-même. Un agneau contre une meute de loups. Une vision pitoyable mais bien courante entre ces murs où la loi du plus fort prévalait sur toutes les autres formes de discipline. Les plus petits se faisaient dévorer par les plus grands qui en oubliaient leur même place dans la chaîne alimentaire. Mais pour Léonie, son grade n’appartenait ni aux grands ni aux petits. Depuis qu'elle logeait ici en ayant pleinement conscience de sa position de rejetée, Léonie défendait bête et ongle son accalmie, d'or et déjà bien entravée. Il était donc hors de question que des avortons de son âge y participent.

On hurla alors le nom des jeunes filles que Léonie vit tressaillir en un instant, tandis que leur teint devint livide. Un sourire mauvais proche du rictus fixé sur sa figure, la demoiselle suivit du regard les braillardes, désormais aussi nobles qu’un condamné à mort. Léonie savait ce qui les attendait, elle en ressentait même presque de la pitié. Un chouïa. Leur donnant moins de dix minutes pour se décomposer, elle imagina ses camarades tenter d’expliquer ce qu’une fiole d’huile rouge et un chamois volée à une surveillante faisaient sous leur oreiller. Elle entendait déjà les coups de verge sur leurs fesses rougies échoir et avec elles, une humiliation collective de taille.

Se levant et marchant à pas de loup, Léonie vint s’agenouiller aux côtés de la martyrisée en posant une main sur son épaule.

-Il semblerait que la chance te souris aujourd’hui. dit-t-elle à la demoiselle, décontenancée.

Caressant doucement son épaule, elle  s’enquit alors à débuter le nettoyage de son lit. Léonie n’était pas une amie. Elle ne l’avait ni fait par rancune, ni fait pour rendre service mais parce qu’elle jugeait qu’il était temps pour grand nombre, après ces longues années de passivité,  de comprendre ce qu’était une véritable prédatrice. Il n’était pas sans raison que Léonie ne revendique aucune des classes, mais bien parce qu’aucun des pensionnaires de ce lieu ne rivalisait avec sa tendre sauvagerie.  Entre ces murs, elle était hors catégorie.


Léonie n’appréciait pas les jeunots virginaux. Il fallait toujours qu’ils salissent ses robes après ne serait-ce qu’une cajolerie. Une fois encore, son camarade l’avait prouvé. S’essuyant les mains après les avoir passé sous l’eau, Léonie regagna sa chambre pour observer la calèche où était assis le garçon, s’en aller. D’ici quelques jours, elle serait fixée. En échange de quelques caresses et de sa chasteté, il lui avait promis de lui envoyer une lettre dès lors ou il serait arrivé à bon port. Une promesse qu’elle était pourtant sûre de ne pas avoir besoin de tenir.

Le regard dans le vide, elle se reprit et entreprit l’observation du ciel teinté d’une lueur orangé. Le soleil ne tardant pas à céder son trône azuré à l’astre de nuit. Ce soir, il allait faire frais et Léonie craignait de ne pouvoir dormir tant l’exaltation que lui procurait ses avancés dans ses recherches était forte. Cela faisait quelques temps qu’elle voyait ses camarades s’en aller pour de bon, ne prenant même plus la peine de contacter leurs amis. Suspicieuse, Léonie avait espéré que l’une des camarades les plus fusionnelles soit choisie et si son souhait s’exauça, sa curiosité s’accrût en constatant qu’elle aussi, elle n’avait nullement fait exception au mutisme des adoptés.  Léonie n’accordait guère sa confiance au directeur dont la clémence était tout aussi authentique que l’existence de sa propre compassion. De quoi rester sur ses gardes pour une demoiselle pourvue d’une jugeote plus qu’acceptable.

Ainsi, Léonie se coucha auprès de ses semblables en songeant à ce qu’elle ferait dans les jours prochains ainsi que de la caste qu'elle piocherait bien, ne dormant que d’un œil au cas où une effrontée jouerait avec le feu.


Depuis son départ, le garçon ne donnait plus de nouvelle et le doute de Léonie était à son comble. Quelque chose se tramait à l’orphelinat. Rien de bon. Bien que sa couche se fasse toujours plus confortable, la demoiselle souhaitait désormais s’en aller de ces lieux, non sans garder ses soupçons pour elle. Léonie n’était pas assez stupide pour le raconter à un gamin du pensionnat. Personne ici ne pouvait avoir la réelle certitude que son ami n’était pas son ennemi. De toute manière, elle ne voulait pas de cela et si son respect n’était plus à rechercher au sein des demoiselles et aux damoiseaux, elle n’avait nullement l’intention de se brûler les doigts. Ses rosseries s’attirant autant de méprise que d’intérêt, un désir de vengeance pouvait très vite survenir. Il lui fallait juste trouver un moyen de s’en aller de ce trou à rat avant de risquer d’être elle-même « adoptée ». C’est alors qu’une idée sordide lui vint à l’esprit. Pourquoi ne pas retrouver ses ascendants ? Bien sûr, ils l’avaient abandonné. Cependant, rien n'est impossible. Il suffit de se montrer persuasif et leur montrer combien il leur serait bénéfique de l’aider.

Léonie n’est qu’une Khasme, mais il semblait que le vice était une affaire de famille.