« Les Khasmes n’ont pas d’amis » cingla la sorcière en guise de bonjour, se tournant vers sa toute nouvelle acquisition.
Son oeil trop sombre pour être clément, détailla avec une indécente précision l’état de cette domestique démesurément bavarde pour laquelle elle avait déboursé le prix d’une toilette luxueuse. Le cheveu était terne, le teint malade, l’épaule trop ronde et le dos voûté. Mais l’oeil était vif et la langue divertissante. Sa voix même, si joyeuse dès le réveil, avait quelque chose d’inédit qui lui plut.
Les femmes dont s’entourait d’ordinaire la sorcière perdaient bien rapidement toute joie de vivre. La Dame des sorcières mettait cela sur le compte du climat et non pas des conditions de vie qu’elle leur offrait. Lui baiseraient-elle les mains avec autant de dévotion, si elle ne les traitait pas bien ? Certainement que non.
Le regard qu’elle portait jusqu’ici sur la jeune Khasme se figea dans une nuance presque satisfaite. Elle était divertissante et plus intelligente que la grande majorité des domestiques qu’elle avait engagés jusqu’ici. Son intuition -qui ne la trompait jamais- lui soufflait qu’il serait intéressant de la ramener en sa demeure.
« Je n’irais pas jusqu’à dire que ton absence m’a laissé un manque, non. Mais j’ai dû gifler la petite blonde qui s’est occupée de mes cheveux hier et cela m’a fatigué le poignet. »
Elle se massait ledit poignet avec affliction, visiblement dépassée par la rude loi martiale qu’impliquait un coup de brosse trop appuyé. À dire vrai, elle ne s’en plaignait pas. Ce genre de manifestations physiques engendraient toujours chez elle une grande excitation libidineuse. La « petite blonde » s’était d’ailleurs montrée bien plus précautionneuse dans ce domaine.
La sorcière lui fit signe d’entrer. Cette intrusion renouvela l’agacement de la valise qui se remit à feuler. Lasse, Rán claqua des doigts. Une nouvelle masse de tabac à chiquer s’éleva de la tabatière pour venir s’échouer dans la gueule béante de la malle.
« Fais attention à ce qu’elle ne te morde pas les chevilles. Elle était ma camériste, fut un temps, et a toujours été très jalouse. »
Comme pour valider ces propos, la valise se recroquevilla sur elle-même, laissant apparaître dans le cuir de sa tenture deux plis similaires à des sourcils froncés. Cette manifestation amusa la sorcière qui s’accroupit face à elle et lui caressa doucement l’anse avant de se relever.
Son expression était neutre, presque douce, alors qu’elle faisait face à la jeune Khasme.
« J’ai obtenu ta location pour un mois. Si je juge cet essai concluant, je t’achèterai. Enfin, je « dédommagerai l’orphelinat pour ton absence éternelle ». Si je le juge décevant… Il me faudrait une besace pour mes herbes. »
Une lueur de taquinerie attendrit légèrement la menace qui était réelle. Elle estimait cela dit que Léonie pouvait être ravie de cette annonce. Devenir une besace à herbes était certainement plus stimulant que de revenir ici. Surtout après avoir, comme elle le devinait, fait subir sa vengeance la plus cruelle à ses anciennes camarades.
« Devenir une telle besace t’aurait appris qu’un mélange de fleurs de noisetier et sumacs réduits en poudre aurait était bien plus efficace. En plus, plus on essaye de se laver pour l’ôter, plus on répand la poudre dans les pores. »