Black as night, black as coal...clickJoséphine & Mary Au Manoir du Pendu« Voyages littéraires »De sa tour, ses yeux observaient l’étang et les mouvements las des branches du saule pleureur. Celui-ci lui rappelait un certain regard, un cri étouffé, mélancolique qu’elle avait recueilli avec complaisance et attention. La poitrine de Mary se souleva, lentement. Ses sourcils étaient froncés, signe d’une intense réflexion. Ce cri résonnait encore en elle. Depuis quelques jours maintenant, son appétit s’était accru. Maintenir sa forme humaine lui demandait en effet plus d’énergie qu’en temps normal. Quant à ses iris, elles brûlaient d’une intensité sombre, l’orage semblait y être permanent. Quiconque approchait la Nocturne de trop près recevait une vague de mélancolie surnaturelle. Ses domestiques peinaient ainsi à accomplir leurs tâches quotidiennes tant les larmes et le chagrin ne cessaient de déferler sur leurs joues. Fort heureusement, ils connaissaient un certain répit lorsque l’écrivaine allait à la rencontre de ses damnés ou de ses proies futures. Cela arrivait régulièrement mais c’était-là une bien maigre compensation pour tous les tourments qu’on leur infligeait si gratuitement. La démone saurait, cependant, les récompenser … plus tard.
Le ciel s’assombrissait. La nuit ne tarderait pas et avec elle, le mauvais temps. Sa plume glissait sur le papier avec une facilité déconcertante tant son être s’épanchait. Si bien qu’elle finit par en être affamée. Le cri s’intensifia plus fortement, soigneusement rangé dans l’amas formé par ses souvenirs. Mary sourit, subtilement. Elle tira un papier de son secrétaire et écrivit la note suivante :
« Délicate Joséphine,
Il n’y a plus belle aventure qu’en temps d’orage. Or celui-ci approche et avec lui, l’opportunité pour vous de céder à vos désirs, à l’appel de vos envies. Je vous ai promis une escapade au cœur de l’Impossible et de la Tentation. Recevez donc cette invitation nocturne et permettez que je vous ôte des bras de votre étouffante clientèle, le temps qu’il vous plaira. Si vous l’osez encore, veuillez vous tenir prête dans les deux heures, près de cette même cheminée, avec vos effets. Si cette chère Louison venait à vous menacer d’une quelconque répression, rappelez-lui mes amitiés les plus sincères. Le nom de mon Manoir saura dissiper ses humeurs.
Hâtez-vous, belle enfant.
Mary Shelley. »
D’un pas rapide, la démone descendit les marches en spirale, parcourut l’étage et gagna, un escalier plus bas, la cheminée de son salon. Elle enferma dans le creux de sa main la note qu’elle destinait à la prostituée puis tendit son poing dans les flammes qui le léchèrent aussitôt jusqu’à parcourir son avant-bras. Les braises de la créature renaissaient à vue d’œil. Mary dompta en quelques secondes les flammes sauvages de l’âtre. Son esprit se concentra alors sur la mélancolie si savoureuse de la libertine pour la retrouver à travers le réseau de cheminées. Dans l’une des chambres du Palais des Plaisirs apparut alors la main de la romancière. Elle s’ouvrit et laissa échapper son message, fumant et intact, avant de disparaître.
Et j'en frissonne encore...clickJoséphine & Mary Au Manoir du Pendu« Voyages littéraires »Bien malgré elle, sans aucun doute, Mary Shelley venait d'épargner à Joséphine une sévère correction.
Madame Louison s'était en effet introduite dans la chambre de la jeune humaine quelques minutes plus tôt, profitant de la solitude de son employée pour lui faire un sermon phénoménal. Quelques nuits plus tôt, la Marquise de Merteuil s'était faufilée jusque dans la chambre de Joséphine pour que celle-ci l'accompagne durant l'une de ses escapades nocturnes destinées à provoquer l'implacable Dame des vampires. Hélas, les deux amantes avaient été surprises par la propriétaire des lieux elle-même. Or, nul n'ignorait au Palais l'aversion de Louison à l'encontre de Merteuil. Ce qui plaçait la prostituée dans une position bien délicate, entre les deux terribles femmes qu'étaient sa propriétaire et sa cliente la plus régulière.
La missive était apparue à l'instant même où Louison levait la main, s'apprêtant à gifler la jeune femme pour son impertinence. Au grand dam de Joséphine, ce fut donc elle qui lut l'invitation en premier. Le sourire qui apparut sur le visage pâle de la maîtresse des lieux contraria par avance l'humaine.
Lorsque finalement elle fut autorisée à lire ces mots qui lui étaient adressés, son premier réflexe fut de refuser. Mary Shelley avait été particulièrement clémente avec elle, pour une Nocturne, mais Joséphine la trouvait imprévisible. Et... Il s'agissait d'une démone, au service direct du Roi. Elle la pensait donc plus dangereuse qu'elle n'en avait l'air.
- Tu es capable de bien faire les choses, finalement. Tu iras, Joséphine.
L'avidité qu'elle percevait dans le regard froid de Louison lui déplut. Sourcils froncés, elle tenta d'argumenter mais la vampire leva une main pour l'intimer au silence, avant de poursuivre :
- Tu iras, et peu importe ce que Mary Shelley exige de toi, peu m'importe l'état dans lequel je te récupérerai, tu le feras. Sa satisfaction m'est infiniment plus précieuse que ta déloyale petite existence, tu comprends ?
Comme chaque fois que la propriétaire du Palais des Plaisirs était décidée, il avait été impossible de la raisonner ou de lui faire changer d'avis. Son ire au sujet de l'incident avec Merteuil s'était dissipée, remplacée par une cruelle avidité. Sa réputation et l'argent qu'elle comptait recevoir pour cette visite à domicile l'emportaient.
Après un ordre sec pour que Joséphine se prépare, elle avait quitté la chambre. Alors, malgré sa réticence et sa méfiance, la jeune femme avait obéi et se tenait prête, près de la cheminée, à l'heure désirée par la chroniqueuse royale. :copyright:️ 2981 12289 0
Black as night, black as coal...clickJoséphine & Mary Au Manoir du Pendu« Voyages littéraires »Durant les deux heures accordées à la douce Joséphine, Mary s’affaira auprès de ses domestiques. Elle leur offrit deux jours de congés à l’exception de son plus fidèle serviteur, lequel était bien plus habitué aux humeurs mélancoliques de la Shelley que ses subalternes. Reconnaissants, ils le furent, d’une certaine façon. Le soulagement se peignait sur leurs traits. La démone s’en amusa, consciente de l’effet qu’elle produisait. Il valait mieux que la prostituée ne rencontre pas l’état de leurs joues dont les rougeurs étaient aussi permanentes qu’éloquentes. Puis elle s’activa pour offrir à Joséphine une chambre susceptible de la reposer, loin d’elle. Celle habituellement adressée à son ami John Locke était la plus lumineuse et de loin la plus apaisante. La démone y avait fait accrocher des peintures représentants des paysages. La forêt, la mer, les monts escarpés mais aussi les villages les plus reculés trônaient ainsi sur les murs. Leur seul point commun était l’air automnal qui s’en dégageait. La Nocturne alluma l’âtre de la chambre pour la réchauffer et observa les ombres se projeter sur le lit paré de rouge. Ses yeux s’en détournèrent lorsque son domestique lui apporta un vase de fleurs sauvages cueillies par ses soins.
L’aiguille actant l’heure du rendez-vous, la démone observa une dernière fois son reflet dans le miroir. Ses cheveux ondulaient dans son dos. Elle les avait détachés pour l’occasion, ne nouant que les mèches encadrant son visage. Sa tenue-même n’était pas aussi disciplinée que d’ordinaire. Sa robe d’un bleu sombre était d’une simplicité que les mondaines auraient caractérisée de révoltante. Sans compter qu’elle laissait ses bras entièrement nus. Quant à sa taille, seul un corset venait l’enlacer et la discipliner. Mais il fallait bien un peu de charme pour tranquilliser l’esprit affolé de sa délicieuse proie. Satisfaite de son image, Mary gagna enfin les flammes de sa cheminée et s’y engouffra, entière.
Son arrivée fut annoncée par la vague de fumée épaisse déferlant dans la chambre de l’enfant. La Nocturne veilla aussitôt à retrouver forme humaine avant qu’elle ne se dissipe. Seules ses cornes, une fois de plus, refusaient de se soumettre à sa volonté. Les flammes les avaient éveillées. Légèrement contrariée par les révoltes de son corps, Mary posa finalement son regard sur son invitée et aussitôt lui offrit un sourire rayonnant.
- Je vois que l’une de vous deux a cédé à la tentation ou devrais-je dire à l’appât du gain. Allons n’ayez crainte, vous reviendrez saine, sauve et entière dans votre Palais, ma chère Joséphine.
Par pure provocation, la démone fit mine d’humer l’atmosphère pour éprouver les émotions de la libertine. Une certaine appréhension flottait dans la pièce, aussi la démone s’approcha pour susurrer sur un ton de velours :
- Je n’ai aucun intérêt à vous faire du mal, je ne suis là que pour vous offrir un accès privilégié vers vos désirs et soifs les plus profonds. N’êtes-vous pas curieuse d’explorer l’Impossible ?
La Créature savait sa question rhétorique. Si Joséphine avait bien une faiblesse visible et palpable, c’était sa curiosité et Mary comptait bien l’en récompenser pour ne pas dire la titiller davantage encore. Elle lui tendit ainsi sa main, prête à l’emmener sur son terrain de prédilection.
- Il va falloir vous approcher si vous souhaitez arriver à destination, chère enfant. Mon corps doit vous entourer pour pouvoir vous protéger des flammes et vous guider, expliqua la démone avant d’ajouter avec un humour gourmand. Me faut-il le déshabiller pour moins vous intimider ? Dans mes souvenirs, il semblait suffisamment à votre convenance.
Lentement, elle pencha sa tête sur son épaule comme pour contempler l’humaine et ses inclinations. Son amusement et sa propre curiosité étaient eux aussi palpables, dissimulant par conséquent ses véritables motivations et sentiments.
- Que décidez-vous ? Me craindre ou vous aventurer ?
Dans cette chambre la main qui trembleclickJoséphine & Mary Au Manoir du Pendu« Voyages littéraires »L'apparition de la démone lui fit arquer un sourcil. Les propos que la Nocturne lui adressa en guise de salutations apaisèrent paradoxalement la méchante humeur provoquée par les remontrances de sa maquerelle. Malheureusement pour son hôte, ils eurent également le fâcheux effet d'éveiller l'impertinence légendaire de Joséphine.
- Encore une fois, Mary, vous sous-estimez l'expérience du monde que peut avoir une femme comme moi. Rien n'est offert et en ce qui concerne toutes les employées de ce lieu, je pourrais même affirmer que toutes savent à quel point tout se paye. Cher. Souvent en revers de la main, parfois davantage lorsque nos partenaires font preuve de plus... D'imagination.
La franchise brutale avec laquelle elle évoquait ces faits concernant sa condition et celle des autres prostituées renforçait l'allure glaciale de son regard.
- Permettez-moi donc de ne pas vous croire sur parole lorsque vous parlez de m'offrir ces expériences. Je constate de plus que de tous mes clients, vous êtes celle qui tient le plus à me préciser à quel point je suis sauve en votre compagnie. Nombreuses seraient celles qui trouveraient cela... Suspect.
Néanmoins, la démone avait raison de miser sur la curiosité de Joséphine. Plus encore que sa curiosité, cependant, sa grande faiblesse était la provocation. Etant elle-même particulièrement friande de ce procédé, son orgueil lui interdisait de se laisser intimider par celle de la chroniqueuse. Elle ajouta donc, d'une voix soyeuse et venimeuse :
- Rassurez-vous, je viens de mon plein gré.
Son appréhension effacée par sa fougue, elle baissa le regard sur la main que lui tendait la créature. Son trait d'humour eut même le mérite de la faire sourire, quoique bien sournoisement. Multipliant les insolences à présent que Madame Louison était loin - mais à l'affut du moindre refus de sa part, elle le savait -, elle reprit de son ton le plus doucereux et le plus mesquin :
- Vous semblez bien pressée. Vous ai-je manqué à ce point ? Je suis flattée de vous avoir laissé une telle première impression. Votre proposition est fort alléchante, mais je saurai faire preuve de patience. A grand peine, bien évidemment.
La dernière question de la nocturne eut raison de sa retenue. La jeune femme se permit de lever les yeux au ciel avant de se détourner le temps de saisir son sac. Ce faisant, elle aperçut son reflet. Elle avait les cheveux détachés, elle aussi. Et des traits reposés, malgré le sang qu'elle cédait régulièrement à la Marquise et malgré la frustration née de son échange avec Louison. Cette dernière avait tenu à choisir sa robe pour l'occasion, d'un blanc fort ironique qui n'avait pas manqué d'agacer davantage la prostituée. Fort heureusement, le corset noir qui recouvrait son buste donnait un peu plus de sincérité à son apparence.
Elle se redressa et, après s'être examinée une dernière fois dans le miroir, reporta son attention sur son interlocutrice. Elle semblait plus calme, soudainement. Moins prompte à faire preuve de résistance.
- Finissons-en, murmura-t-elle en prenant cette main tendue.
Elle expira et se servit de sa prise pour s'avancer. Sans hésitation supplémentaire, elle pressa son buste contre celui de l'anglaise. :copyright:️ 2981 12289 0
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