- Je comprends ce que vous m’expliquez, Mary. Mais je n’ai pas les capacités nécessaires à l’imaginer, en ce que c’est inimaginable pour l’espèce à laquelle j’appartiens, confessa-t-elle avec discernement.
Quelques fois, Joséphine savait faire preuve d’une sagesse étonnante. Hélas, cette sagesse l’incitait généralement à agir de manière bien téméraire. Afin d’éviter de céder trop tôt, cette fois-ci, elle préféra garder le silence et continua d’écouter la démone. Cette dernière s’exprimait bien, sa voix était chaude et agréable à l’oreille. Elle aurait pu l’écouter décrire ainsi les raisons de sa passion durant des heures.
- C’est bien la première fois que je rencontre une démone de votre espèce. L’éthique et la morale n’ont généralement que peu d’intérêt aux yeux de mes clients.
Si sa voix était moqueuse, une forme de fascination adoucissait néanmoins ses intonations. Le charme de la démone opérait réellement, jusqu’à ce que la créature mentionne le sang. C’était là un sujet bien délicat pour la jeune femme, amante régulière d’une vampire dont la gourmandise connaissait peu de limites.
En s’imaginant offrir son sang à la démone, elle déglutit. Par réflexe, elle voulut toucher la marque de morsure à son sein. Mais sa position l’en empêcha. A bien y réfléchir, c’était certainement pour le mieux. Joséphine avait appris depuis de nombreuses années déjà à ne pas mélanger ses histoires de coucheries. Aucun amant ne s’équivalait et rares étaient ceux qui appréciaient qu’elle leur rappelle l’existence de ses autres clients.
- C’est donc le sang que vous utilisez comme encre ? Ou bien comme inspiration ?
Mary venait de quitter son corps et déjà, elle respirait mieux. La proximité, lorsqu’elle n’était pas animée par des passions lubriques, était toujours source de méfiance de la part de Joséphine. Cette dernière rencontra néanmoins le regard de la démone sans peine, ses yeux bleus brillant d’une franchise déconcertante.
Le plaisir et la fierté qu’elle décelait dans le ton employé par l’écrivaine étaient appréciables. Cela la rendait étonnamment plus accessible, malgré la nature vertigineuse du monde de la romancière.
- Un libre-arbitre limité par vos interventions et desseins, donc. Vous êtes finalement autant spectatrice et lectrice que romancière. Et lorsque vous êtes absente ? Que se passe-t-il, alors ?
Imaginer sa mystérieuse compagne du soir châtier les criminels et récompenser les âmes qui trouvaient grâce à ses yeux revêtait un charme qu’elle ne s’expliquait pas. Cela plaçait Joséphine dans une humeur de gourmandise rare. Elle se mordit la lèvre sous les images dessinées par son esprit trop habitué à la luxure, avant de l’interroger d’une voix chaude à son tour :
- Est-il possible d’observer tout cela, alors ? Vous ne pouvez décemment pas éveiller ma curiosité ainsi sans me permettre de vous admirer dans ce rôle, ronronna-t-elle avec ruse.
Black as night, black as coal...clickJoséphine & Mary Au Palais des Plaisirs« Désirs tempêtueux. »- Les miens pensent la morale et l'éthique insipides. Je ne partage pas leur avis. Le monde a besoin d'un cadre pour évoluer. Cela ne veut pas dire qu'il ne doit pas en sortir, bien au contraire, il se le doit. Mais sans mesure, il n'y a que le chaos et le chaos peut, parfois, avoir ses limites. La raison peut se faire plus rusée et vicieuse que l'immoralité-même. Il n'y a pas à nourrir de méfiance envers les immoraux: ils sont d'une prévisibilité affligeante. De nous autres, en revanche …
Mary laissa la fin de sa réponse en suspens, un rictus énigmatique aux lèvres, Ce fut alors qu'elle sentit, fugacement, le changement d'attitude chez la prostituée. Elle l'observa, en silence, comme un amateur d'art contemplerait une peinture pour en comprendre les moindres détails. La question qui menaçait fut réprimée par la démone. Quelque chose venait de perturber Joséphine. Etait-ce la mention du sang ?
- En effet, acquiesça la romancière. Je le mélange au mien afin d'y associer mon pouvoir puis, tout en traçant les premières lettres, je l'écoute. Je ne prends rien sans permission, Joséphine, se sentit-elle obligée de rajouter avec un sérieux soudain.
Une fois sur le lit, la créature se prélassa tout en prêtant une oreille attentive aux questions de l'enfant. Celles-ci replongeaient Mary dans ses premières explorations, ses premiers essais et la flattaient profondément. Cela faisait un moment qu'on ne s'était pas intéressé à son art et à sa magie. Tous deux étaient devenus communs pour les Nocturnes, en particulier pour l'un d'entre eux, ce dont elle se serait attristée si la voix chaude de Joséphine n'était pas venue se faufiler sournoisement jusqu'à son imaginaire.
- Je ne laisse jamais un chapitre en cours. Mais parfois, certains d'entre eux se rejouent jusqu'à ce que je puisse décider de la meilleure version. Le procédé de création n'a rien de linéaire.
La démone finit par se redresser. Des flammes de convoitise brûlaient dans ses iris soudainement assombries. La curiosité vibrait dans la voix du joyau du Palais.
- Dans ce rôle ? répéta-t-elle d'une voix tentatrice en revenant d'un pas des plus lents vers l'enfant.
Du doigt, elle releva le visage de la prostituée jusqu'au sien et l'amena à se redresser pour venir s'asseoir sur ses genoux, aussi dominatrice que séductrice. De si beaux traits, si alléchants...
- Et quel rôle souhaitez-vous que j'incarne Joséphine ?
Ses lèvres se détournèrent de la bouche si tentante et glissèrent près de l'oreille de l'humaine pour décrire les différents rôles qu'elle pouvait interpréter pour elle. Loin de sa douce mélancolie, la démone emporta la libertine vers de nouveaux péchés et ce, de longues heures durant, jusqu'à ce que la fatigue ne vienne libérer Joséphine de son emprise. La Nocturne observa Morphée accomplir son travail un moment avant de rédiger un mot doux à la plus cruelle des femmes, @Reine Drusilla Reine d'Achéron, à même la lune de son plus beau sosie :
« Votre bouche, Majesté, ravit tout Paris et il me faut l'avouer, est des plus talentueuses. A l'évidence, il n'y a pas que dans la perfidie et la vulgarité qu'elle sait y faire. Une interrogation demeure néanmoins en suspens : votre Altesse possède-t-elle également ce même grain de beauté à la naissance de sa poitrine ? Restez sur vos gardes, le peuple de Paris pourrait vouloir vérifier de lui-même.
Soyez assurée de ma dévotion. »
Une fois son offense perpétrée - non sans une aimable outrecuidance - et envoyée anonymement par un relais de plusieurs domestiques du Palais des Plaisirs et de Paris pour éviter tout soupçon, la démone coinça dans la paume de l'endormie, une brève note. Elle disparut ensuite, sa mélancolie finalement réendossée.
« Je satisferai vos désirs et curiosités, prochainement. »
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